"La force d'une route de campagne est autre, selon qu'on la parcourt à pied, ou qu'on la survole en aéroplane. La force d'un texte est autre également, selon qu'on le lit ou qu'on le copie. Qui vole voit seulement la route s'avancer à travers le paysage : elle se déroule à ses yeux selon les mêmes lois que le terrain qui l'entoure. Seul celui qui va sur cette route apprend quelque chose de sa puissance, et apprend comment, de cet espace qui n'est pour l'aviateur qu'une plaine déployée, elle fait sortir, à chacun de ses tournants, des lointains, des belvédères, des clairières, des perspectives, comme l'homme d'un commandant qui fait sortir des soldats du rang. Il n'y a que le texte copié pour commander ainsi l'âme de celui qui travaille sur lui, tandis que le simple lecteur ne découvre jamais les nouvelles perspectives de son intériorité, telles que les ouvre le texte, route qui traverse cette forêt primitive en nous-mêmes, qui va toujours s'épaississant : car le lecteur obéit au mouvement de son moi dans l'espace libre de la rêverie, tandis que celui qui copie le soumet à une discipline. Aussi l'art chinois de copier les livres fut-il la garantie d'une culture littéraire, et la copie une clé pour les énigmes de la Chine."
Walter Benjamin, "Objets de Chine", Sens unique, traduit par J. Lacoste, Maurice Nadeau, pp.146-147.
[Antoine Berman cite ce fragment dans son lumineux commentaire de "La tâche du traducteur" (L'Âge de la traduction, Presses Universitaires de Vincennes), traçant p.104, entre le geste de copier et celui de traduire une analogie : "non reproduire passivement le paysage figé d'une œuvre, mais le 'copier' et, dans cet acte de re-duplication, révéler ce que Benjamin appelle sa 'force', et qui est son état de mouvement originel".]
[Antoine Berman cite ce fragment dans son lumineux commentaire de "La tâche du traducteur" (L'Âge de la traduction, Presses Universitaires de Vincennes), traçant p.104, entre le geste de copier et celui de traduire une analogie : "non reproduire passivement le paysage figé d'une œuvre, mais le 'copier' et, dans cet acte de re-duplication, révéler ce que Benjamin appelle sa 'force', et qui est son état de mouvement originel".]
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