
La tâche du traducteur [2] de Benjamin avait déjà moqué cette prééminence comme "transmission inexacte d'un contenu inessentiel". Car "que 'dit', en effet, une œuvre littéraire ? [...] Ce qu'elle dit d'essentiel n'est pas communication, n'est pas énonciation".
Qu'est-ce que je veux servir alors ? Clairement l'ensemble. La forme au sens large — non un schéma de rimes ou quoi que ce soit d'autre qui pourrait être détaché de l'œuvre, mais la manière dont l'œuvre est inscrite à l'intérieur de sa langue et de sa tradition, son intentionnalité, l'"Art des Meines" [3] de Benjamin. Forme dans le sens de ce qui n'aurait pu être écrit en anglais. Si bien que traduire est un acte d'exploration. Une double exploration, car le traducteur doit non seulement explorer l'original, mais aussi la langue cible en quête d'un idiome, une langue dans la langue, qui puisse accommoder l'"Art des Meines" de l'original. Pour Emmanuel Hocquard, le traducteur/explorateur trouve "une tache blanche sur la carte [dans son cas] du français [...] une langue particulière à l'intérieur du français, qui ressemble au français sans être tout à fait du français." [5] Si bien que l'exploration signifie vraiment "gagner du terrain", gagner de nouveaux territoires entre les langues.
Rosmarie Waldrop, Lavish Absence : Recalling and Rereading Edmond Jabès, Wesleyan, 2002, p. 7.
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[1] "Transluciferation", Ex 4 (1985)
[2] Walter Benjamin, Die Aufgabe des Übersetzers, in Gesammelte Schriften, Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main, 1972, IV, I, p. 9-21. Les citations françaises de l'essai de W.B. sont empruntées à Martine Broda [La tâche du traducteur, Po&sie, numéro 55]
[3] "Mode de visée" [traduction M.B]. Pour une élucidation précise de ce syntagme, voir L'Âge de la traduction d'Antoine Berman, P.U.V, 2014, p. 122-125.
[5] Emmanuel Hocquard, "Taches blanches", le "GAM" 2 (1997)
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