❝ J'ai moi-même gardé le goût à demi ingénu d'observer les jardins de banlieue en soulevant le volet des boîtes aux lettres. Et c'est toujours un jardin différent de ce lieu où l'on pourrait se promener au soleil, lire à l'ombre, cueillir des fleurs. C'est le Jardin par excellence, un petit fragment de l'Eden, bien délimité dans le rectangle de la fente pareil à un timbre qui vivrait. Il paraît superflu de développer à ce propos l'analyse d'obédience freudienne qu'on attendait peut-être, et dont on connaît d'avance le résultat. Il vaut mieux chercher à comprendre pourquoi le timbre, qui ne fut pas pour Evans un but en soi, aura pris d'entrée de jeu pour lui ce caractère de passage exclusif, inévitable. Et l'on discerne plusieurs motifs. Les deux premiers se trouvent en corrélation étroite : tenter de surprendre le secret du monde, c'est aussi vouloir s'évader. Grâce au timbre, à sa thématique, il s'affranchissait en somme lui-même pour s'expédier ailleurs. Mais n'étant pas d'une nature audacieusement révoltée ou visionnaire, il demandait encore au timbre une sorte de garantie ou de protection : celles même du monde qu'en passant par le timbre il fuyait ou refusait. N'y décelons que l'ambiguïté d'une nature paisible et vulnérable, soucieuse de ne pas compromettre la poursuite de sa quête par d'inutiles conflits. Quête rien moins que conformiste, d'ailleurs, puisqu'Evans détournait sagement le timbre de sa fonction marchande, administrative, pour le transformer en objet superfétatoire, unique, non fongible, c'est-à-dire en oeuvre d'art. ❞

Jacques Réda
Affranchissons-nous
Fata Morgana
1990
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