On pourrait être tenté de
qualifier Narr, votre dernier opus,
de branche, de rejet (pour rester dans le vocabulaire de la botanique) ou de
post-scriptum à Verbigo. Roman de
voyage, quête d’un personnage, c’est presque le livre du double – double qui
est peut-être celui que vous poursuivez dans Verbigo…
Cela paraît une question innocente, mais si je dois y
répondre vraiment je dois parler de tout le bouquin et ça franchement ce n’est
pas mon boulot. Ainsi je vais vous répondre en partie: oui, on peut dire que
NARR est un post-scriptum à VERBIGO, mais je crois aussi que, du fait de sa
démesure, tout ce que j’ai fait après ne peut pas être autre chose.
Par contre je vais essayer de m’expliquer sur la
question du ”double”. Il n’y pas de recherche ni de poursuite d’un double dans
VERBIGO. Cette notion est surgie après coup dans une lettre que j’écrivais à
Bernard Pingaud (cfr. Narr, pag. 9). Dans cette même page commence un
paragraphe qui reprend, je crois, le suc de ma lettre et que je vais vous
transcrire pour vous faciliter la tâche: ”… souvent, surtout vers la fin de
la journée, après avoir pondu pages et pages, je m’arrêtais dans le fol espoir
de me surprendre, de me pencher sur l’épaule de ce triste besogneux, de me voir
réuni à cet autre qui écrivait, et je ne sais combien de fois je me suis dit
que le seul vrai bouquin que j’aurais voulu écrire était celui sur moi (ou
plutôt sur ce type) écrivant, sur moi dévidant péniblement ma bave
noirâtre ; que c’était là la seule histoire qui valait la peine
d’être racontée”.
Cette notion est en fait une perception de l’écriture elle-même
non pas par rapport à ce qu’elle narre (car, bien sûr, elle narre mais cela
pose d’autres questions), mais en tant qu’activité folle et mystérieuse à la
fois de l’écrivain. Je dis folle et mystérieuse (ce dernier mot avec un regard
appuyé sur Wittgenstein) parce que, parti pour raconter une histoire, souvent
il se laisse prendre la main, il invente des vies, décrit des lieux qu’il n’a
jamais vus, réussit ou rate son coup, en un mot il joue à dieu-le-père – si je
peux me permettre une comparaison immodeste tout écrivain est pareil aux
artisans inconnus qui ont dressé, par exemple à Louxor, les
hiéroglyphes-colonnes le plus haut possible vers le ciel – un écrivain en
traçant ces signes noirâtres et incertains se dresse dans le vide le plus noir
et vise les hauteurs ou les profondeurs, c’est pareil, de sa perception du
monde, donc de la condition humaine, sachant que nul dieu ne l’écoute et que sa
folie ne guérira jamais, car chaque page en réclame une autre, chaque œuvre
n’est que la préface ou le post-scriptum d’un travail infini. La preuve? Le
narrateur de NARR est dans une île à la recherche d’un homme et il finit par en
rencontrer des tas d’autres qui n’ont rien à faire avec sa recherche. Et
peut-être à la fin il ne se rend même pas compte que c’était cette âme
actuellement malade (comme on dit d’une plante qui est malade, puisque vous
aimez la botanique) de l’île qui était le ”vrai” but de sa recherche. Les
guillemets sont là pour indiquer que le vrai ne peut être que relatif en
écriture. O poeta é um fingidor.
Merci infiniment à Uccio Esposito Torrigiani de s'être prêté à cet entretien. Narr est en fait son avant dernier opus, puisqu'il a publié depuis Le Comédien dans sa loge, disponible ici.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire