"Chroniqueur de l'existence moderne", Gustave Caillebotte entre, avec Rue de Paris, temps de pluie (1877), dans la légende. Image légendaire du Paris haussmannien dont il fut d'autant mieux peintre que, né en 1848, il ne connut pas le vieux Paris. Chroniqueur est d'ailleurs inexact. Caillebotte évite le récit. L'image est d'une ambition telle qu'elle va droit à l'essentiel : au cityscape, à l'Aspect. La vue demeure "tributaire du dispositif perspectif - la perspective étant chose essentiellement constructive, sinon urbaine" (Hubert Damisch). Les figures bourgeoises et passantes que Caillebotte dispose au premier plan et dans la profondeur de champ n'y sont qu'élégantes figurines dans une scénographie urbaine où c'est l'architecture qui tient la vedette : un nouveau discours urbain, dont la percée (et la spectaculaire perspective que celle-ci ménage) serait le performatif et la régularisation, l'espacement les concepts opératoires. Théâtralité proprement haussmannienne encore des façades colossales, du carrefour en étoile, ici formé par la rue de Léningrad, les rues de Moscou et de Turin. Au Salon, la critique apprécie l'impeccable exécution, la précision presque photographique : le lissé et le luisant de cette lumière sur le pavage mouillé par une invisible averse. La touche, d'une netteté presque sèche, n'avait rien de l'impensable frémissement de Monet. Elle exprime en tous cas à merveille la netteté, la régularité, l'ordre monumental de la ville nouvelle voulue par l'Empereur et l'opiniâtre Baron : "Pour la première fois dans l'histoire de France, un pouvoir d'État appuyé sur des forces économiques et sociales dominantes, mais parfois aussi les combattant, a tenté de remodeler une société urbaine de plusieurs millions de personnes." (Christophe Charle, Histoire sociale de la France au XIXe siècle, Points Histoire, p.121) Scénographie : les longues perspectives vides, où l'air, la lumière coulent à larges flots, à peine troublée, au premier plan, par la figuration de ce couple, presque grandeur nature. L'homogénéité visuelle de la ville est frappante - le produit d'un effort colossal d'homogénéisation du tissu urbain - mais aussi, au vu de l'élégance vestimentaire quelque peu stéréotypée des passants (redingotes, chapeaux haut-de-forme et parapluies multipliés), l'implantation, au coeur de Paris, d'une bourgeoisie nantie et propriétaire.
Quelque chose comme un narcissisme de la ville (Benjamin, Paris capitale du XIXème siècle)
Dans un essai intitulé Skyline et précisément sous-titré La ville Narcisse, Hubert Damisch écrivait, en 1996 :
"La structure fondamentalement narcissique qui est le propre du milieu urbain. Qu'en est-il du regard que la ville autorise - et mieux que cela : du regard qu'elle induit, qu'elle détermine, qu'elle informe, qu'elle programme, qu'elle organise : du regard, non seulement que le sujet est en mesure de porter sur lui-même, mais de celui que la ville-machine porte sur elle-même, par l'entremise dudit sujet ?"
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire