mardi 5 août 2025

Seule la cendre

 sait ce que signifie brûler jusqu'au bout. 

Je le dirai pourtant, après un coup d'oeil myope par-devant :

tout n'est pas emporté par le vent, et le balai

qui ratisse ample dans la cour ne ramasse pas tout.

Nous resterons, mégot fripé, crachat, dans l'ombre 

sous le banc, où pas un rayon ne pénètre,

et, étroitement enlacés à la fange, comptant les jours,

nous nous ferons terreau, dépôt, couche culturelle.

Devant sa pelle maculée, l'archéologue ouvrira grand la bouche

en un hoquet : mais sa trouvaille tonnera

sur l'univers, comme une passion enfouie dans la terre,

comme la version inverse des Pyramides.

"Charogne !", soufflera-t-il, en se tenant le ventre,

mais il sera plus loin de nous que la terre ne l'est des oiseaux,

parce que être charogne, c'est être libre de ses cellules, libre du

tout : apothéose des particules.

Joseph Brodsky, poème sans titre, inédit, daté de juillet 1987, traduit par Véronique Schiltz, in Poèmes 1961-1987, Gallimard, 1987.

 

 

 

Jouve 1933

 "La catastrophe la pire de la civilisation est à cette heure possible parce qu'elle se tient dans l'homme, mystérieusement agissante, rationalisée, enfin d'autant plus menaçante que l'homme sait qu'elle répond à une pulsion de la mort déposée en lui. La psychonévrose du monde est parvenue à un degré avancé qui peut faire craindre l'acte de suicide. La société se souvient de ce qu'elle était au temps de saint Jean ou à l'an Mil : elle attend, elle espère la fin."

Quelle position dès lors, et quelle définition de la poésie, dans un monde où "les instruments de la Destruction nous encombrent" ?

"Il n'y a pas à prouver que le créateur des valeurs de la vie (le poète) doit être contre la catastrophe ; ce que le poète à fait avec l'instinct de la mort est le contraire de ce que la catastrophe veut faire ; en un sens, la poésie, c'est la vie même du grand Eros morte et par là survivante." 

'Inconscient, spiritualité et catastrophe', avant-propos à Sueur de Sang. 

Mais que l'écriture suppute la lecture,

 d'une part, a dit Isham, et que l'auteur, d'autre part, ne demande pas de lecteurs, cela n'est pas contradictoire, tu crois ? - C'est mensonger peut-être, a dit Ibrahim ; mais contradictoire, non, cela ne l'est pas.

Danielle Mémoire, Noms, prénoms, titres et sobriquets (2023) 

dimanche 13 juillet 2025

Détail, agrandissement

 "La nuit tombe vite. Cosmo allume la lampe et déploie sa carte (...). Il pointe du doigt l'une des nombreuses taches blanches et dit : Nous sommes maintenant à Jéricho." 

(W.G. Sebald, Die Ausgewanderten, 1992/Les Emigrants, Actes Sud, 1999, page 171.)

dimanche 5 janvier 2025

"Ni la vie .", ai-je écrit. c'est tout à fait ça.

 

 

"Tout cela je

ne l'a

vais   jamais


vu   c'est é

trange

j'attends le


tramway   j'attends

la mort

c'est un vieux

 

papier que je 

déplie :

et pourtant


la mort n'est pas

sépa

rée   la na


ture   n'a pas

de point

ni la vie"


Jacques Roubaud, Autobiographie, chapitre dix, poèmes avec des moments de repos en prose, 1977.

dimanche 15 décembre 2024

Théophane

 Autre personnage       Théophane le Grec

 

(Le distique      L'ordalie      L'arbalète)

 

Irrédent jusqu'au ressort même de sa flèche

 

Voudrait      Andréi

(une vocabilité de choses muettes)  


Comme fer   de forge l'immoler

au fournil de sa barbe 

A se demander si       Précocement

 

Ne couvait tôt dans ses veines

ou tard le sang d'un fauve séculier

 

(D'étranges scories dans sa laine

d'alouette jetée à terre par l'orage

 

égorgée à la barbe du siècle para-

sève)

 




samedi 30 novembre 2024

"La poésie de l'écoute

 de qui ne maîtrise ni ne domine. Ne pas dominer une langue n'est pas un handicap ; au contraire, la dominer nécessite une répression et dénote un manque presque irrécupérable. S'immerger dans une langue sans être obsédé par l'idée de la maîtriser, de la conquérir, d'en prendre personnellement (ou même <<subjectivement>>) possession, comme s'il s'agissait d'un bien matériel : voilà peut-être l'espace virtuel de la création moderne." 

[Charles Bernstein, Leçon Stein, VENDREDI 13, 2, juin 1992, page 22]