sait ce que signifie brûler jusqu'au bout.
Je le dirai pourtant, après un coup d'oeil myope par-devant :
tout n'est pas emporté par le vent, et le balai
qui ratisse ample dans la cour ne ramasse pas tout.
Nous resterons, mégot fripé, crachat, dans l'ombre
sous le banc, où pas un rayon ne pénètre,
et, étroitement enlacés à la fange, comptant les jours,
nous nous ferons terreau, dépôt, couche culturelle.
Devant sa pelle maculée, l'archéologue ouvrira grand la bouche
en un hoquet : mais sa trouvaille tonnera
sur l'univers, comme une passion enfouie dans la terre,
comme la version inverse des Pyramides.
"Charogne !", soufflera-t-il, en se tenant le ventre,
mais il sera plus loin de nous que la terre ne l'est des oiseaux,
parce que être charogne, c'est être libre de ses cellules, libre du
tout : apothéose des particules.
Joseph Brodsky, poème sans titre, inédit, daté de juillet 1987, traduit par Véronique Schiltz, in Poèmes 1961-1987, Gallimard, 1987.