samedi 17 décembre 2016

Manoeuvres d'automne


"Je ne dis pas : c'était hier. Avec en poche
l'argent déprécié de l'été nous sommes de nouveau livrés
à la balle du dérisoire, dans les manœuvres d'automne du temps.
Et le chemin de fuite vers le sud ne nous sert à rien,
contrairement aux oiseaux. Passent le soir
des cotres de pêcheurs et des gondoles, et parfois
un éclat de marbre gorgé de rêves me touche
là où je suis vulnérable, de par la beauté, à l'œil.

Dans les journaux, je lis tant de choses sur le froid
et ses conséquences, sur les idiots et les morts,
les exilés, les assassins et des myriades
de blocs de glace, mais peu pour me plaire.
Qu'importe ? Devant le mendiant, qui se présente à midi,
je ferme ma porte, car c'est la paix
et l'on peut s'éviter ce spectacle, mais pas
la mort sans joie des feuilles sous la pluie.

Partons en voyage ! Allons sous les cyprès
ou bien sous les palmiers ou dans les orangeraies
contempler à prix réduit des couchers de soleil
qui n'ont pas leur pareil ! Oublions les
lettres demeurées sans réponse à l'hier !
Le temps fait merveille. Mais s'il vient mal à propos
marteler notre culpabilité : nous n'y sommes pas.
Dans la cave du cœur, sans sommeil, je me trouve à nouveau
sur la balle du dérisoire, dans les manœuvres d'automne du temps."

Ingeborg Bachmann, Toute personne qui tombe a des ailes (Poèmes 1942-1967), traduit par Françoise Rétif, Poésie/Gallimard.

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