New-York,
on le sait, fut pour bien des poètes du siècle XX, l’occasion d’un véritable test de poésie. La ville avait contraint Llorca, au début des années trente, à une nouvelle retrempe, sur le mode
épique, de son duende.
Depuis
son incipit et sa coupe aux résonances celaniennes — « die stadt ist der mund/raum » — qui
serait son énoncé fondateur, le premier poème new-yorkais de Thomas Kling se
déploie, en séries brèves de flux sonores puissamment ponctués-syncopés, douze
fois, pour condenser les rythmes
de son expérience métropolitaine, en exposer les béances.
Comme
chez Llorca, New York fonctionne comme un formidable « accélarateur de
langage ». De cet espace buccal qu’est la ville, des particules
linguistiques affluent, en un « spectacle polylingue » incessant ;
« dés/intégrées », elles défont et refont sans repos, « en vo
brouillée embrouillée », le textus
de la ville. La multiplicité des circulations, des stimulations interdit toute
lisibilité-stabilité, visuelle et sémantique. Le poème, dès lors, procède par
« coupes transversales », « tomo-graphie » cet espace
« palimpseste », entre discontinuité radicale et dynamique continue,
où toutes les figures de la destruction (ruines, crevasses, sillons, fissures)
entrent en réseaux, hermétiques — et la ville s’éloigne, dans une rumoration catastrophique (1).
L’eau
et la rouille obsèdent ces pages, corrodent un espace sans urbanité, en
surchauffe, raturé-saturé, dans les trouées duquel s’infiltrent des résurgences
archaïques, résidus mythiques, comme la source Hippocrène, ou échantillons
d’humanité « stylite » se détachant « rassemblés //et
seuls » dans la verticalité, et tombant, sidérés par « une sourate de
lumière » dans le second cycle composé d’après les images du 9/11. Ces
poèmes impressionnent par la mise au point réticulaire de ce
que Kling nomme geschistbild :
« zone morte, un vent d’algorithmes./et tout comme pané ».
Une leçon de poésie pour aujourd’hui.
Une leçon de poésie pour aujourd’hui.
(1)
S’éloigne au sens que Jean-Luc Nancy a donné à ce verbe, dans La ville au loin (La Phocide, 2011). Le
terme ‘rumoration’ lui est emprunté.
Thomas Kling, Manhattan espace buccal, Editions Unes, traduit par Aurélien Galateau, 2015.
Thomas Kling, Manhattan espace buccal, Editions Unes, traduit par Aurélien Galateau, 2015.
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