THESE IX
A l'essor est prête mon aile
j'aimerais revenir en arrière,
car même si je restais autant que le temps vivant
j'aurais peu de bonheur.
Gerhard Scholem, Salut de l'Ange
Il existe un tableau de Paul Klee qui s'intitule "Angelus Novus". Il représente un ange en train de s'éloigner de quelque chose à laquelle son regard reste rivé. Ses yeux sont écarquillées, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. Tel est l'aspect que doit avoir nécessairement l'Ange de l'Histoire. Il a le visage tourné vers le passé. Là où se présente à nous une chaîne d'événements, il ne voit qu'une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d'amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds. Il voudrait bien s'attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui fut brisé. Mais du paradis souffle une tempête qui s'est prise dans ses ailes, si forte que l'ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l'avenir auquel il tourne le dos, cependant que jusqu'au ciel devant lui s'accumulent les ruines. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès.
(Walter Benjamin, Thèses "Sur le concept d'histoire", traduit par Michael Löwy, in Walter Benjamin : Avertissement d'incendie, Editions de l'éclat, p. 80).
***
"Angelus Novus, continuai-je auprès du professeur interloqué, a la figure d'une bête sauvage, une gueule de lion, des ailes d'oiseau et des jambes de bovin, ses ailes atrophiées s'achevant par des mains humaines. C'est une figure composite qui évoque les créatures ailées protectrices des temples babyloniens et qui suggère aussi un arbre vivant. Cette forme incarne tout à la fois la trajectoire de l'Etre du cosmos jusqu'à la plante, à l'animal, et à l'humanité-ange. C'est aussi un lien vers le passé : il a beau annoncer l'être du futur, il marie les emblèmes des quatre Evangélistes en une seule image. La création de Klee atteint ici le stade ultime de la Parousie, de la Révélation.
"Angelus Novus est le nouvel ange parce qu'il n'est ni l'ange contemplatif en perpétuelle adoration de Dieu, ni le messager. Il est lui-même 'bonne nouvelle'. Il n'est pas seulement l'envoyé de la tempête, il est lui-même tempête. Nous ne le connaîtrons pas par les yeux, mais par les oreilles."
(Etel Adnan, Le Maître de l'éclipse, traduit par Martin Richet, Manuella Editions, p. 50)
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