![]() |
"Dresser la carte des points entre les /territoires qui chantent." |
Pour des géographes d'aujourd'hui (2), la littérature est un objet d'investigation : des écrivains font, sérieusement, de la géographie "rhumaine". Réciproquement, "la géographie fait parfois une école de critique" (3), ou plusieurs, dont Michel Collot examine les protocoles, apports et limites respectifs : des "pages-paysages", naguère, de Jean-Pierre Richard aux graphes topologiques, aujourd'hui, de Franco Moretti, de la géopoétique "nomade" de Kenneth White à la géocritique comparatiste de Bernard Westphal ou "atopique" de Pierre Bayard...
Bifide, la géographie littéraire pourra interroger aussi bien l'espace dans la littérature (disons classiquement la structuration spatiale et sociale du roman balzacien) que la littérature dans l'espace (par exemple celui, mondialisé, de la République des Lettres, dans le livre-somme de Pascale Casanova). Le geste cartographique est envisagé dans son rapport aux divers territoires, réels ou imaginaires, Collot ne faisant en somme que suggérer que lui échappe ce qu'il tient pour essentiel, et qu'il nomme ailleurs la "structure d'horizon". Mais le sujet n'appelait-il pas plus ample développement ? Une innervation et une réorientation de sa problématique au contact de propositions antagonistes ? Et si la carte était moins une représentation du monde qu'un lieu d'argument sur la nature de celui-ci, comme le suggère le géographe et poète Denis Wood ? (4) On aurait aimé une ouverture plus grande, en vérité, du champ des "explorations", dans la seconde partie de l'ouvrage, en particulier quand il est question de poésie, le corpus retenu par Collot se limitant trop souvent au canon universitaire, au détriment d'oeuvres autrement novatrices, et décisives pour notre présent. Je songe ici à Emmanuel Hocquard, dont l'absence dans les pages de cet essai nous conduit à la conclusion qu'il y a encore, sur la mappemonde littéraire de notre critique, quelques majestueuses taches blanches. N'y a-t-il pas, chez l'auteur d'Un test de solitude, la volonté, rêveuse mais tenace, d'ouvrir un "espace inaugural d'observation et de réflexion", en rupture pour ainsi dire épistémologique avec ce qu'il appelait le "modèle cartographique" ? Michel Collot vient pourtant, en quelque manière, lui faire écho quand il affirme : "Une géographie littéraire ne peut que mettre en crise toute tentative de cartographie" (5). Il y a là des points d'intersections possibles, et de nouvelles pistes, semble-t-il, pour la recherche.
(1) Dans la collection "Les essais" de José Corti. Un hasard éditorial veut qu'à l'essai de Collot corresponde la publication, chez le même éditeur, du manuscrit inachevé de Julien Gracq, Les Terres du Couchant, où la narration souvent s'évade de sa diégèse pour devenir "récit d'espaces".
(2) Comme Marc Brosseau, cf. Des romans-géographes, L'Harmattan, 1996.
(3) Albert Thibaudet.
(4) Dans un entretien avec Sébastien Smirou, dans la revue Ligne 13 (numéro 4, Imagier, Automne-Hiver 2011-2012, chapitre 6, "La carte et le poème").

(5) On lira avec profit les réflexions inaugurales sur la carte de L'île au trésor dans Il rien (recueilli dans Un privé à Tanger, Seuil, Points/Poésie, pp. 47-54) et leur commentaire par Alain Cressan, "Du jeu dans la lecture (Hocquard & Stevenson)", in Ligne 13, numéro 1, Tirer-un-trait, Printemps 2010, chapitre 3, en particulier les pages 26-27 et 28-30. Une "version cartographiée" de ce texte vient de paraître chez Contre-mur.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire