dimanche 11 novembre 2012

Uccio Esposito Torrigiani: un entretien (1/3)



Ecrivain, grand voyageur et homme de théâtre, Uccio Esposito Torrigiani a publié Madame B. et Environs de L. au Mercure de France et Jean chez Gallimard à la fin des années 60 et collaboré avec Danielle Collobert. Auteur miroitant et fascinant, il a publié de nombreux livres chez Room 106 ltd, qui témoignent d'une écriture protéiforme, se diffractant sans cesse tout en gardant une grande cohésion.

Verbigo semble être une somme autobiographique. Pourtant on y sent le roman, presque feuilleton, avec ses verbigérations, un côté onirique, presque fiévreux, mais en même temps très construit... Le considérez-vous comme une autobiographie, et si c'est le cas, comment? Comment aussi, de son écriture, le verbigo, entre verbe et verbigération?

VERBIGO, ainsi que la plupart de mes autres écrits, est à la fois autobiographique et romanesque. Vous avez peut-être connu une de ces dames qui, ayant perdu un amant ou un ticket de la loterie probablement perdant, vous disent: “Ah! Monsieur, si vous saviez, ma vie est un roman…“. Eh bien, moi c’est pareil. Une bonne moitié de ma vie a été un véritable roman bourré de voyages, d’aventures, de folie et d’expériences mentales peu recommandables. Si on ajoute à cela que je considère l’écriture un art qui souvent remplace le divan des psy (cela les irrite, car c’est leur gagne pain), on peut peut-être comprendre ce que vous appelez “onirique, fiévreux“ mais aussi “construit“, car toute œuvre qui plonge au plus profond de l’écrit est fabrication d’un demi-fou (les vrais fous se taisent), et donc “verbigération“. Mais, pour revenir à la dame citée plus haut, je considère aussi le roman comme un fourre tout. C’est pourquoi dans “Verbigo“ il y a, entre autres choses, le compte rendu d’une expérience de groupe, un récit scientifico-mérovingien sur la formation du cerveau, des description d’états hallucinatoires, une pièce inspirée du théâtre Nō, etc. Je signale, pour conclure, que la première idée de ce titre vient en réalité de vertigo, qui est la fois le vertige, une maladie de certains animaux dite aussi tournis et un magnifique film de Hitchcock.
VERBIGO est essentiellement une lettre à mon amie Dany (j’y fais d’ailleurs allusion au début du premier tome), commencée deux ans après son suicide: le temps qu’il me fallait pour achever la première partie de mon trauerarbeit  - pendant lequel je n’ai pas écrit un seul mot.

Dans la construction, justement, il y a quelque chose qui pourrait-être de l’ordre du roman feuilleton : chaque « partie » - à défaut d’un autre terme : épisode ? -  est centrée autour de quelques personnages, d’un lieu donné, avec des variations dans le « genre » : parfois presque un polar, parfois roman-fleuve, jusqu’au théâtre… Comment se sont faits ces choix ?

Si l’on se contente d’une réponse facile, la voilà: ce que vous appelez le feuilleton est basé ou centré sur des personnages féminins. Ce sont, dans l’ordre:
I tome.:   Olga l’italienne – Tussy la communiste anglaise – May la galloise (rôle dominant) et Joan la canadienne;
II tome.:  Claire  – Laurence – Isabelle, toutes françaises –  et enfin Magdalena l’aristocrate allemande;
III tome.: Wanda la flamande – Vivi la parisienne (autre rôle dominant).
Je sais, ça fait répertoire de bordel, mais c’est comme ça; autour d’elles,  il y a le normal contour de figurants et de paysages, bref une certaine couleur locale, en général authentique. Quant à savoir comment ces choix ont été faits, il faut s’en remettre à mon autobiographie – en reconnaissant toutefois que la succession chronologique n’est pas toujours exacte et que, bien entendu, j’ai pu fantasmer ou au contraire estomper certaines situations.
Si maintenant on veut essayer d’approfondir je dois vous dire que ce qui manque pour saisir mes ”choses” c’est le mécanisme de départ: le plus loin que je me souvienne je me suis toujours raconté des histoires – tout seul, dans ma tête - en rappelant que j’ai passé mon enfance au théâtre, donc dans un univers de fiction et de mots, et mon adolescence seul (sur ce sujet j’ai écrit un court texte autobiographique vrai: ”En Coulisse”, que, étant exclusivement pro domo mea et pour mes enfants, je n’ai pas diffusé). Adolescent, j’ai écrit, comme tout le monde, quelques poésies sans y attacher la moindre importance. Mon rêve et mon métier était la peinture. J’ai commencé à dessiner et peindre vers 17 ans, j’ai fréquenté irrégulièrement les Beaux Arts à Venise, puis j’ai vagabondé en Europe et enfin je me suis arrêté à Paris où je me suis inscrit de nouveau aux Beaux Arts. En l’été 59, il faisait une chaleur impossible à Paris, tous mes copains avaient disparu et je suis parti en stop vers la fraîcheur scandinave. Je vous passe des tas de détails, mais la chose importante est que dans un jardin public de Stockholm pour la première fois j’ai écrit une de mes histoires. Rentré à Paris il m’a paru naturel de la faire lire à mes amies Jacqueline et Dany. Surprise: beaucoup d’encouragements à poursuivre. En fait je ne poursuivais que mon propre daïmon : je n’avais pas de projet littéraire, et pourtant je dédiais une partie de mes nuits à écrire. Quitte à m’endormir le lendemain sur ma planche à dessin. Le daïmon c’était Kafka qui écrivait pour lui-même (ou pour la littérature: c’est pareil), pas pour ”faire” l’écrivain. Et moi j’aurais fait pareil.

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