vendredi 29 octobre 2010

Le lieu des images

L'être des images est l'être des formes dans une matière étrangère à son sujet naturel. Notre image n'est autre que l'existence de notre forme à l'extérieur de notre matière, du substrat qui permet à cette forme d'exister : "dans une matière totalement étrangère [extranea materia] à celle dans laquelle on existe et à laquelle rien ne se mélange". Si cela est vrai, on pourra dire que toute image naît au moment où la forme se détache de son lieu d'existence : là où la forme est hors de son lieu, une image a lieu. La possibilité de devenir une image n'est autre que celle de n'être plus dans son lieu propre, celle d'arriver à exister à l'extérieur de soi. Être une image signifie être hors de soi, être étranger à son corps et à son âme. Notre forme acquiert un être différent de son être naturel, un être que les scolastiques appellent esse extraneum, être étranger, être étrange. L'être des images est l'être de l'étrangeté. Ce qui signifie que les images n'ont pas un être naturel, mais un esse extraneum : entre corps et esprit qui donnent lieu à l'être naturel, il y a un être étranger. En d'autres termes, les formes sont capables de passer par un état qui ne correspond ni à l'être naturel qu'elles détiennent dans leur existence corporelle (physique, mondaine), ni à l'être spirituel où elles se trouvent quand elles sont connues ou perçues par quelqu'un. Pour chaque forme, devenir image, c'est faire l'expérience de cet exil indolore de son lieu propre, dans un espace supplémentaire qui n'est ni celui de l'objet, ni celui du sujet, mais qui dérive du premier et alimente et rend possible la vie du second. Parce que le sensible est une transformation des corps qui détermine et oriente les esprits. Tout sensible est donc le lieu de fracture entre la forme de quelque chose et le lieu de son existence et de sa conscience.

Emanuele Coccia, La Vie sensible, traduit de l'italien par Martin Rueff, Rivages, 2010.

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