"Percevoir le mouvement qui, sous nos yeux, va du monumental au virtuel dans la ville qui vient, ce serait sans doute comprendre une des transformations majeures de notre temps. Mais peut-être plus essentiellement, ce que nous devons apprendre ou réapprendre, c'est le mouvement qui va du virtuel au corporel. Jamais une image de synthèse n'abolira un corps de chair. Jamais un réseau de relations ne se substituera à la parole que j'adresse à l'être qui m'est le plus proche non moins qu'au premier venu. Encore faut-il comprendre que cela ne se joue pas simplement dans le tête-à-tête de sujets purs ; cela se joue dans le lieu où je parle une langue, où souvent j'en entends plusieurs, où j'ai mes parcours et mes repères, où j'hérite d'un art de vivre et en découvre d'autres, où je suis un homme ou une femme, où j'ai un travail (et où parfois j'en cherche), où j'appartiens à une génération, où je dialogue peu ou prou avec mes voisins, où on connaît souvent ma profession, ma famille, mes origines, où par l'école les parents forment des liens originaux entre eux par la médiation des enfants. Chaque citadin est ce bouquet d'expériences singulières dans le champ de la vie commune."
Marcel Hénaff, La ville qui vient, L'Herne, collection Carnets, pp.218-219.
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