samedi 10 octobre 2009

Tokyo Élégie

Avec Araki enfin (Gallimard, Art et artistes, 2008) Philippe Forest poursuit sur le Japon une investigation commencée en 2001 avec une série d'études consacrée au romancier Kenzaburo Oé (Ôé Kenzaburo, légendes d'un romancier japonais, chez Pleins Feux) et continuée chez Cécile Defaut avec La Beauté du contresens (2005) et Haikus, etc. (2008). Chez le même éditeur, une pièce radiophonique, 43 secondes, évoquait Hiroshima tandis que Nagasaki était au coeur de la troisième partie d'un admirable roman, Sarinagara (Gallimard, 2004).
L'originalité du livre ici consacré au photographe japonais tient à son ambiguïté générique : selon les termes de Philippe Forest, une "fiction romanesque et critique". Sur l'oeuvre photographique d'Araki, voici donc un essai hybride, qui se lirait d'ailleurs moins comme un roman - encore que la fiction y ait sa part - qu'à la manière d'un poème. L'auteur subdivise en effet son livre en trente et un chapitres, comme une strophe de waka (composée de trente et une syllabes). Chaque chapitre étant lui-même découpé en sept paragraphes et illustré d'une photographie. Se dessine ainsi "un portrait fictif et fragmentaire d'Araki" qui permet de suivre de leurs débuts jusqu'à nos jours les développements d'une oeuvre mondialement célèbre peut-être, mais hâtivement réduite à quelques clichés (la photographie érotique pour parler vite) et au fond, si mal connue.
Sait-on par exemple qu'Araki est un remarquable portraitiste de Tokyo, la ville où il est né, où il aura presque exclusivement vécu, et que de cette exclusivité une longue liste d'albums porte le témoignage, souvent mélancolique ? Dans Tokyo ereji (Tokyo élégie, 1981) et Tokyo wa, aki (Tokyo est l'automne, 1984), entre autres exemples, Araki photographie "une ville en perpétuelle transformation", "ville plusieurs fois détruite et plusieurs fois reconstruite" qui, comme le Paris de Baudelaire et d'Atget, change plus vite, hélas ! que le coeur d'un mortel. Oui, elle a bien été prise par Araki, la photographie de ce vieil homme avec sa canne, "qui fut le promeneur et le témoin d'une autre époque". Le long des rails d'un tramway désaffecté où sont installées les tables d'un café moderne, il s'avance incertain, étranger dans un paysage urbain que l'on soupçonne pour lui Unheimliche, infamilier, dans ce curieux mélange d'égarement et de distinction que lui donne l'élégance à la fois discrète et sévère de sa toilette. Le hiératisme non pas hautain, mais lointain, presque spectral, qu'impose son maintien, évoque la silhouette d'un flâneur quelque peu dandy (raffiné même de dos), - lente allégorie en quoi la photographie le fige.

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