(Alain Bublex, View of Glooscap from the Heights, technique mixte, 1998)
Au sud du Nouveau-Brunswick, dans la baie de Passamaquody, il y a Glooscap.Glooscap où, quittant un matin brumeux Nantes et la France en homme infâme, Félicien Marboeuf (dont le nom et l'absence d'oeuvre nous sont mieux connus depuis les quelques pages que Jean-Yves Jouannais leur a consacrées dans un essai important, paru en 1997, aujourd'hui réédité dans une édition revue et augmentée [1]) rhéteur d'étrange espèce dont la pratique de la Lettre fut si haute qu'elle lui interdit, année après année, le sujet d'un livre, le prétexte d'une oeuvre, s'exila pour ne plus revenir ; à Glooscap où il continua de ne pas écrire - persistant et signant dans ce silence qui désormais pour nous le désigne - sinon quelques lettres rares à quelques destinataires choisis. L'une de ces lettres, en date du 22 septembre 1906, est adressée à Marcel Proust (sur qui Marboeuf aura exercé - de significatifs fragments de leur correspondance cités dans le livre de Jouannais en apportent de peu réfutables preuves - une influence décisive) : la première peut-être écrite de Glooscap, elle n'a d'autre objet que Glooscap elle-même, ville prétendûment absente de nos cartes mais, pour cette raison même, comme aucune autre, ouverte, par la seule résonance de son nom.
"Mon cher Marcel Proust,
Je n'ai, avant Glooscap, jamais aimé les villes pour elles-mêmes. Je les appréciais pour ce qu'elles m'épargnaient, de la mélancolie des plages, de la mort violente des campagnes, de la course aberrante des routes et des chemins de fer. J'en venais à les tolérer pour leur seul talent à tenir proches, en cercle, dans la proximité des heures de la journée, les êtres chers comme les adresses utiles. Les villes, je ne me rappelle pas les avoir admirées autrement que par inadvertance. Il m'arriva bien de trébucher sur quelques poncifs ; je connus des élancements de grande niaiserie pour des décors de carte postale, des passions vulgaires pour un paysage dantesque de friches industrielles. Je crois même un jour avoir trouvé séduisant un arrangement municipal de fleurs dans quelque vasque de plâtre sur la place d'armes d'une grandiloquente ville de province. Et puis il y eut Glooscap, une ville qui n'eut jamais besoin de beauté pour plaire. Elle a son nom pour cela, et cela lui suffit" [2]
[2] Correspondance Marcel Proust-Félicien Marboeuf (1896-1922), Texte établi, présenté et annoté par Philip Blok, à paraître chez Plon.
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