samedi 4 octobre 2008

Westwerende (fragment # 2)

Je quitterais la terrasse, l'ardoise ardente des dalles. Revenant sur mes pas, arrêté au seuil de la baie ouverte sur le soir, scrutant, autrement, l'intérieur de la pièce, fouillant du regard l'obscurité, je ne verrais rien tout d'abord, qu'elle, lentement dans l'espace inoculée, effaçant couleurs et contours, toute forme à l'entour de lui, y compris la sienne propre. En approchant peut-être, il me serait possible de mieux percevoir, à la légère déformation de sa lèvre, la soudaine, intermittente crispation d'un muscle facial, au rythme heurté, irrégulier, rauque, quelquefois haletant, de sa respiration, comme des mouvements de lave à l'intérieur de la cage thoracique, à l'oeuvre le mal, la puissance de négation, lentement agissante. Elle labourerait sa chair en silence, invasive adversaire. Lui, pour mieux l'affronter, se serait rassemblé, ramassant autour d'elle ses membres, en chien de fusil. Une odeur mêlée de fièvre et de médicament flotterait, douceâtre, dans cette chambre, odeur discrète mais entêtante, qui rapidement deviendrait irrespirable, si bien qu'à peine rentré il me faudrait ressortir, presque aussitôt, pour m'en délivrer, suffocant presque, à l'air libre où, stridence discrète, un fragment d'ardoise glisserait, erratique, sur la terrasse balayée par le vent, comme l'aiguille d'un gramophone ne lit plus, pour finir, qu'un sillon de silence.
Ces allées et venues à d'autres auraient semblé suspectes, autant d'indices, d'évidences tacites, trahissant l'impatience de celui qui brûlerait de prendre congé mais qu'un dernier scrupule retiendrait, la pensée qu'il redoublerait, s'en allant ainsi, la solitude du mourant. Pourtant, je savais. Je savais déjà les mots que feraient entendre dans quelques minutes sa voix, fêlée comme par la soif, Pars maintenant - ou tu manqueras le tram. Ou quelque chose d'approchant. Il voudrait par ces paroles presque bégayées, conscient peut-être de mon étouffement, précipiter mon départ, faciliter mon évasion. De retour dans la chambre, je commencerais dans sa direction le démenti d'un geste qui demeurerait en suspens, arrêté, comme un repentir invisible à l'oeil nu, quelque part tramé dans l'obscurité de la toile. Mais non, il n'était que sept heures du soir, peut-être sept et demie, le prochain tram ne passerait que dans une demi-heure. J'avais donc encore le temps, hypocrite dénégation, alors qu'intérieurement je délibérerais d'un expédient pour échapper à sa promiscuité pâle, pensive, mortelle.
Il y avait une autre possibilité. Je ne répondrais pas, je ne dirais rien, parce que revenant sur la terrasse, enveloppé par un souffle de vent, j'y serais réduit au silence, instantanément. Alors, fermant les yeux, pour me perdre mieux en cette haleine immense, je progresserais à pas lents, dans l'obscurité des paupières closes, à la recherche d'un point d'appui, jusqu'au métal brûlant de la rampe, que mes mains rencontreraient immanquablement. Évidences tactiles. Cassant le buste, par le balcon de fer forgé, les yeux toujours fermés, se pencher dans l'hypothèse du vide, s'y précipiter peut-être, serait un jeu d'enfant, ou bien se faire, ressuscitant un jeu ancien, un jeu d'enfance, l'écho du vent qui, surgi des profondeurs de l'avenue, caresserait mon visage et, s'engouffrant dans l'antre humide de la bouche, entrerait en résonance avec les petites roches, coupantes et calcaires, de mes dents.

Aucun commentaire: