samedi 9 août 2008

La lagune et les sables mouvants

Eric Audinet, dans Les Derniers jours de Venise (Farrago, 2001), n’est pas avare de paradoxes, dans la multiplication des voix.

Venise est un lieu commun de la ville, comme beaucoup de villes, simplement parce que la ville est le lieu où se fonde une communauté de vie, d’origine, de vue. Voir Venise et mourir. Un topos par destination.

« […] les villes les plus anciennes, Rome ou Athènes, Burdigala ou Venise, sont constituées de strates de villes, et […] on ne reconnaît plus les villes de siècle en siècle, et même sur quelques dizaines d’années aujourd’hui, sauf les villes transformées en musées, qui ne sont plus des villes mais des musées, et c’est pourquoi Venise n’est plus une ville mais un musée » (94) nous dit Adrien. A la ville mouvante, en construction permanente, changeante et vivante, il oppose la ville figée, conservée en l’état, strate historique dont on veut garder la trace. Un fossile de ville : « il n’est plus nécessaire de voyager pour voir Venise puisque Venise n’est plus nulle part et surtout pas à Venise, Venise est dans l’épaisseur de son nom comme n’importe quelle œuvre d’art » (95), ajoute-t-il. L’épaisseur du nom : un ensemble de référents collés au nom, une coquille pour des constructions symboliques qui enclosent la ville, en font un lieu de reconnaissance, une borne… On pratique le guide, l’ouvrage de référence, le sens sur lequel construire une connaissance de la ville. La ville, comme décor, comme fond d’une expérience, inerte et stable, un socle où vivre, une monnaie d’échange : vous aussi, vous y avez été ?

Pourtant Adrien et Monsieur B. « étaient partis à Venise pour les mêmes raisons, avaient regardé Venise pour les mêmes raisons. Mais comme ils n’étaient pas fabriqués de la même manière, rendus tous les deux à une liberté qu’ils imaginaient peut-être plus grande qu’elle ne l’était, là où Monsieur B. voyait la terre et l’eau et des voiliers partant vers le sud, Adrien voyait l’eau descendre du ciel dans les villes. » (172), sans doute parce que la ville n’est pas un topos figé, mais aussi un horizon d’attente, de perception, qu’elle se construit en interaction avec celui qui la parcourt, mouvante, que ses fondations sémantiques sont bâties sur du sable, la multiplicité des constructions de sens qu’on peut composer, combiner, voire intervertir, ce qui fera aussi la singularité de l’expérience (celle de l’artiste peintre et celle du peintre en bâtiment), malgré et avec le socle commun du lieu.

Finalement, « on pouvait à Venise redevenir un sauvage, c'est-à-dire simplement un homme sans référence. » (114), nous propose une amie de Monsieur B. La ville devenant alors un territoire vierge, soumis à l’expérimentation du regard qui (se) jauge, fait le point, construit son propre cheminement indiciaire, une ville comme enquête.

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