mardi 13 juillet 2021

Le livre d'Aliénor, sextine

       Morte, allongée, Aliénor
Dans ses mains de gisante tient un livre
Je le regarde ouvert devant mes yeux
Appuyé sur deux doigts de chaque main
Mais si tout semble prêt pour la lecture
Sur les pages du livre il n'y a rien

      Pas un seul mot n'est là, rien
Sur les pages du livre d'Aliénor
Etrange proposition de lecture
Que celle-là, pages blanches d'un livre
Que morte la lectrice eut dans ses mains
Mais qui n'offrent qu'un néant à ses yeux

      J'observe de près ses yeux
Il me semble qu'ils ne regardent rien
Sous la violence des siècles la main
A perdu son pouce droit, Aliénor
Perpétuellement soutient son livre
Le regard ailleurs, pour quelle lecture ?

     Décidées pour la lecture
Les pages grises de poussière, aux yeux
Vont-elles se remplir de signes ? Livre
Qu'un ange saurait à partir de rien
Emplir de lumière pour Aliénor
Et guider vers l'écriture sa main

      On imagine sa main
Prête à la 'tourne' des pages, lecture
De prières, de psaumes qu'Aliénor
Voulait voir toujours offerts à nos yeux
Où ce serait le poème du 'rien'
Du 'pur néant' recueilli en ce livre

      Que chacun invente un livre
Qu'il le confie en pensées à ces mains
Qu'il y médite la leçon du rien,
De la mort terminable, et la lecture
En soit proposée silencieuse aux yeux
De la gisante en attente, Aliénor
 
(Lu par Jacques Roubaud à la Vieille-Charité de Marseille, le samedi 3 juillet 2021)

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