mardi 6 mars 2018

"Thorow"




« J'ai beaucoup voyagé, à Concord ». David Henry Thoreau fut donc de ces nomades qui préfèrent ne pas trop s'éloigner, mais s'autorisent quelques excursions, comme cette Marche au Wachusett, rédigée à vingt-cinq ans, qui récite déjà, par monts et par vaux, une nature « domaine de subjectivité transcendantale » (1) : « We have only to stand on the summit of our hour to command an interrupted horizon ». 

Dans Teintes d'automne corrigé peu avant sa mort, l'arpenteur T. esquisse une pédagogie de la promenade comme art « de bien orienter l'œil et l'esprit ». Il s'agit d'anticiper, formant in absentia l'image mentale, pour qu'advienne en effet, réelle présence et beauté, in situ, la joncacée ou la graminée. Un voir perspectif acéré comme la pointe d’une flèche indienne s’applique au plus proche, au plus voisin (l’oiseau, l’étang) et pose sur lui un regard d’éclaireur, qui cherche et qui trouve : « Le vrai chasseur peut tirer presque tout le gibier depuis sa fenêtre. La proie vient se percher au bout du canon de son fusil, mais le reste du monde ne la voit pas avec ses plumes. » Calmes, clarificatrices, ces proses d'automne recueillent observations et pensées d'un « célibataire de la nature » (2), parmi les herbes violettes, sous des frondaisons rougeoyantes. La tombée des feuilles, avec grâce et maturité, lui apprend à mourir. Pas une page qui ne prolonge une expérience, un émoi de nature, traduit dans les vocables absolus de l’auteur en locus amoenus ou paradisiaque. Les séquences descriptives font un nuancier des couleurs d'automne en vue de quelque mémorial d'octobre dont ces pages seraient l’orée (ou l’aurore). L'almanach de Concord dont il caressa le projet eût été son Livre, où « tout noter de l'évolution de la nature au fil des saisons », dans le parage d'une poésie topographique, qui articule « l’extériorité du monde en tant que proximité à moi » (3). 
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(1) Susan Howe, Thorow, traduction B. Rival, TH.TY., 2002.
(2) Thierry Gillyboeuf, Henry David Thoreau, Le célibataire de la nature, Fayard, 2013. 
(3) Stanley Cavell, Sens de Walden, traduction B. Rival & O. Berrada, TH.TY., 2007.



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