dimanche 19 février 2017

Fin de l'enfance

"En attendant que Louvin arrive, je suis allé m'asseoir sur le banc tout au fond du jardin du haut, que terminent deux terrasses, à l'endroit le plus éloigné du bruit de la maison. Je tourne le dos à la forêt. Chacun vaque, pense un peu à soi.  Dans le grenier mon père récite des tirades classiques apprises au temps de sa captivité, ma mère prend un bain avant de descendre à la cuisine, mon frère étudie des cartes d'état-major, mes sœurs font leurs affaires à elles, tentant de mener leur vie à part. Le paysage va s'éteindre. Je regarde des traînées rouges dans le ciel, elles me colorent le cou, je regarde le pêcher mort que le jardinier a conseillé de faire abattre, le tout jeune bouleau, l'arbre de la taïga, au tronc si clair dans le crépuscule qu'il transmet une douceur du Midi. A travers les interstices du banc j'aperçois une couleuvre endormie. Au bout d'un moment je crois qu'elle est morte, je l'agite avec une canne oubliée sur le banc. C'est sa mue que la couleuvre a laissée, une ceinture, on dirait un coude de rivière, presque un collier. Je vais envoyer une lettre à Line, je lui parlerai du collier de la couleuvre et de la chance de pouvoir se défaire dans l'herbe de sa peau..."

                                                     Bruno Bayen, Fugue et rendez-vous, Christian Bourgois, 2011. 

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