samedi 12 mars 2016

Comrade

"D'ailleurs, trouverais-je le dernier autobus vers mon quartier, je serai probablement si fatigué que je le regarderai passer sans me décider à l'effort d'y monter. Je connais bien cette fatigue qui me permet de marcher trois ou quatre heures sans m'arrêter, — et qui ne me permet que cela, — qui m'enferme dans une déambulation dont je ne peux sortir qu'en tombant dans le sommeil. Elle est là ; je suis depuis quelque temps déjà la ligne qui se trace devant moi à mesure que j'avance ; bien qu'elle me soit invisible, je ne peux l'imaginer que blanche, — d'un blanc presque gris, comme tracée à la craie depuis assez longtemps pour qu'elle soit devenue par la pluie et la poussière presque indistincte sur le trottoir ; je ne sais jamais quand je fais les premiers pas sur cette ligne, qui n'existe plus derrière moi ; subitement, elle est là, sa fin m'échappe comme son commencement. Une illusion fait donc partie de cet ordre dont je ne peux pas douter ; et elle n'est pas seule à se produire, quelquefois c'est toute une perspective qui se met à vaciller, un pan de lumières qui se déplace d'une façade à l'autre, puis s'envole dans le noir. Et souvent enfin je m'égare dans des quartiers qui ne sont pas très éloignés du mien ; non seulement le nom des rues m'est inconnu, mais des bruits de machines ou d'eau souterraine que je n'entends nulle part ailleurs, me parviennent de façon presque continuelle, passé une certaine heure. Dès que la longue marche est commencée, je prévois tout cela, je le sens venir avec la fatigue, et n'est pas question de résister."

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