lundi 22 août 2011

Dans de la nature. Pour Robert Walser (1)


Robert Walser est né en 1878 à Bienne dans le canton de Berne. Geschwister Tanner (Les enfants Tanner) est son premier roman. Composé en quelques semaines à peine, il est publié à Berlin par l'éditeur Bruno Cassirer en 1907, année où paraît Die Verwirrungen des Zöglings Törless (Les désarrois de l'élève Törless), le premier roman de Robert Musil. Qui sera un lecteur attentif et perspicace de l'oeuvre de Walser : " ... Une prairie est chez lui parfois un objet réel, mais parfois quelque chose qui n'a lieu que sur le papier. Quand il s'exalte ou s'indigne, il ne perd jamais de vue que c'est ce qu'il est en train d'écrire, que ses sentiments sont eux-mêmes branchés sur la ligne. Il fait brusquement taire ses personnages et fait parler l'histoire comme un personnage... Je veux bien qu'il s'agisse de jeux, mais ce ne sont pas des jeux d'écriture - malgré une maîtrise qui ne cesse de vous éblouir -, ce sont des jeux humains où il entre beaucoup de douceur, de rêve, de liberté et toute la richesse morale d'une de ces journées apparemment inutiles, paresseuses, où nos plus fermes convictions se desserrent et entrent dans une agréable indifférence. "

" Mais c'était bien ainsi, tout simplement bien, un peu trop et parfois un peu juste, et parfois pas très franc, parfois rusé, parfois rien du tout, parfois complètement idiot ; à la fin cela devenait très difficile de trouver quelque chose de particulièrement beau, on ne voyait plus le motif, il suffisait d'être là, de marcher, flâner, rôder, courir, perdre son temps, on était soi-même devenu un morceau de printemps. Le bourdonnement pouvait-il trouver du plaisir à tous ces bourdonnements et roucoulements ? Était-il donné à l'herbe de se voir onduler au vent ? Le hêtre aurait-il pu tomber amoureux de lui-même ? Il n'y avait ni fatigue ni inertie, un laisser-aller simplement, un balancement. La nature elle-même était comme à la traîne. Une attente, un suspens ! Les odeurs étaient suspendues au-dessus de la terre, qui attendait. Les couleurs exprimaient l'âme de cela. On pouvait trouver une sorte de jeune fatigue, de prescience alanguie dans les buissons en fleurs, une sorte de ne-plus-vouloir, un sourire. Les montagnes dans la brume bleue de leur forêt sonnaient comme des cors très, très lointains, il y avait quelque chose d'un peu anglais dans le paysage, un plantureux jardin anglais, c'est le mélange des voix, le tissu d'ondes affluant et refluant de partout qui suggérait cette parenté. On se disait, ce pourrait être en ce moment la même chose ailleurs qu'ici. Le pays alentour convoquait tous les autres. C'était un sentiment drôle qui vous transportait au loin et qui vous apportait le monde tout près, qui vous l'apportait comme les enfants apportent, comme une offrande, une attention. On pouvait dire et penser ce qu'on voulait, il reste toujours le même non-dit, non-pensé ! C'était facile et difficile, délicieux et douloureux, poétique et naturel. On comprenait les poètes ou plutôt, non, on ne les comprenait pas. On était beaucoup trop paresseux dans le moment pour penser qu'on les comprenait. On n'avait pas besoin de comprendre quoi que ce soit, rien ne se comprenait mais tout aussi bien tout allait de soi, en se résolvant dans l'écoute qu'on prête à un son, ou dans la vue qui se perdait au loin ou dans le souvenir du moment qu'il était, le moment de rentrer à la maison et de remplir un devoir, si modeste fût-il, car même quand c'est le printemps il y a toujours des devoirs à remplir. "

Robert Walser, Les enfants Tanner (Geschwister Tanner), traduction Jean Launay, chapitre neuf, Folio Gallimard, p. 165-166.
(Le titre du post est emprunté à Philippe Beck, Dans de la nature, Flammarion, 2003. Le commentaire de Robert Musil est cité par le traducteur dans sa postface à l'édition Folio).

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