"Là encore, il ne s'agit pas de clef biographique. Il s'agit de chiffre du siècle. C'est là une de ces rencontres qui chiffrent le siècle : celle de deux orphelins sur le pavé de la Nouvelle Babylone. Un orphelin : le fils de famille qui fuit l'ordre de ses tuteurs, le passant, le poète, l'expérimentateur du futur. Une orpheline : la fille du peuple, la femme vierge et prostituée, qui s'identifiera chez Rimbaud à la ville elle-même : la ville vierge et martyre, prostituée par le passé et porteuse de l'avenir, la "putain Paris"de l'orgie parisienne, c'est-à-dire la Semaine sanglante retenant dans (s)a prunelle claire :
Un peu de la bonté du fauve renouveau.
Rimbaud ne décrit aucun paysage urbain, ne raconte aucune théorie sociale. Il fait autre chose : il écrit son siècle. Il fixe ses chiffres et ses emblèmes. Il en pointe les coordonnées et établit entre elles toutes les liaisons possibles dans le même espace. Il le rend évident et, du même coup, illisible. Mais il fait cela, tout en voulant faire quelque chose de différent. Ce qu'il veut, en effet, c'est devancer le siècle.Il prétend lui donner ce qui lui manque pour achever le projet du nouveau corps glorieux, une langue : une langue de l'avenir, celle du corps intégral, de la communauté des énergies rassemblées (...) Inventer une langue nouvelle pour le corps nouveau de la communauté ..."
Jacques Rancière, Rimbaud : les voix et les corps, in La chair des mots. Politiques de l'écriture, Galilée, 1998.
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