"Mais la vérité est que, ni par le sortilège de ses noms, ni par les instantanés qu'elle a gravés dans la mémoire, la ville ne se laisse tout à fait ressaisir. J'y ai vécu par l'imagination plus que dans la réalité : elle est restée pour moi ce que peut être une première garnison pour un sous-lieutenant qui y rêve de commander un jour des armées : tout s'y fait signe, pressentiment, symbole, toutes les barrières sont pour l'esprit des incitations à sauter, tout n'y prend vie autant qu'il exige d'être développé. Une ville qui vous a couvé laisse tout fuir d'elle-même si le souvenir ne vous restitue ce qu'elle signifiait momentanément d'irremplaçable : une présence incubatrice, une chaleur enveloppante et informe. Je rassemble les morceaux d'un oeuf cassé, d'un cocon troué ; rien ne peut plus me rendre la poussée aveugle qui condamnait tout ce qui m'entourait à éclater, pour apprendre à exister autrement, rien non plus ne peut me rendre présente la ductilité, la plasticité d'une âme encore toute vague, sur laquelle toute impression se faisait empreinte, ou plutôt, au sens goethéen, forme empreinte, destinée en vivant à se développer."
Julien Gracq, La Forme d'une ville, José Corti, 1990.
(On pourra lire ici une présentation succincte de l'oeuvre signée Michel Murat, professeur à l'université de Paris IV (Paris-Sorbonne), auteur d'une thèse sur Le Rivage des Syrtes, ainsi que de travaux consacrés à Rimbaud et Mallarmé.).
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