mardi 18 novembre 2008

Les mots de la ville (2)

(JEAN-CHRISTOPHE DIAZ, Passage Jouffroy)
Les Passages
"Leur spécificité était précisément d'être des lieux de transit, d'un transit à travers la vie bourgeoise établie à leurs embouchures et dans les étages supérieurs. Tout ce qui était mis à l'écart de cette vie, qu'on le considérât comme imprésentable ou comme contraire à la vision du monde officielle, trouvait refuge dans les passages. Ils abritaient les éléments rejetés ou refoulés par la société, l'ensemble des choses qui ne pouvaient convenir à la décoration des façades. Tous ces objets en transit obtenaient là une sorte de droit de séjour, comme des bohémiens qui ne sont pas autorisés à s'installer en ville mais seulement sur une route de campagne. On passait devant sans guère y prêter d'attention durant la journée, en allant d'une rue à l'autre. Le passage des Tilleuls est encore plein de boutiques dont les vitrines constituent de tels passages au sein de l'organisation de la vie bourgeoise. Et en vérité ils apaisent tout d'abord les besoins du corps et le désir d'images qui se manifestent dans les rêves éveillés. Tous deux, le très proche comme le très lointain, échappent à la vie publique bourgeoise qui ne les tolère pas et ils se retirent volontiers dans l'obscurité familière du passage, où ils s'épanouissent comme les roseaux dans un marécage. Même considéré en tant que tel, le passage est également le lieu où le voyage peut se présenter comme quasiment nulle part ailleurs, comme l'élan du proche vers le lointain, comme la liaison réciproque du corps et de l'image."
(Siegfried Kracauer, Adieu au Passage des Tilleuls, article paru dans le Frankfurter Zeitung, le 21 décembre 1930.)

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